Historique de l'orgue
De 1907 à 1962
L'église sainte-Julienne de Namur-Salzinnes se voit pourvue d'un orgue depuis 1907, année durant laquelle fut conclu un marché entre le curé Cavillot et la firme allemande Eberhardt-Friedrich Walcker. L'instrument devait compter deux claviers manuels, un pédalier et 35 jeux.
Son prix étant alors de 16500 Francs or, buffet compris.
Copie du devis du 6 juillet 1907:
Ier clavier (56 notes)
1. Bourdon 16, en bois
2. Montre 8, 24 tuyaux en zinc, 32 en étain. En partie en façade.
3. Synthematophon 8, 20 tuyaux en zinc, 36 en étain, à doubles bouches[1]
4. Viola di gamba 8, 12 tuyaux en zinc, 44 en étain
5. Flauto major 8, en bois
6. Gemshorn 8, 12 tuyaux en bois, 8 en zinc et 36 en étain
7. Dulciana 8, 12 tuyaux en zinc, 44 en étain[2]
8. Bourdon 8, 12 tuyaux en bois, 44 en étain
9. Prestant 4, 8 tuyaux en zinc, 48 en étain
10. Flûte à cheminée 4, en métal
11. Dolce 4, en métal
12. Octavin 2, en étain
13. Nasard 2 2/3, en étain
14. Fourniture V 2 2/3, en étain, reprenant les n° 12 et 13
15. Trompette 8, 18 tuyaux en zinc, 38 en étain.
Composition de la fourniture du 1er clavier :
C 2 2/3 2 1 3/5 1 1/3 1
C’ 2 2/3 2 1 3/5 1 1/3 1
C’’ 4 2 2/3 2 1 3/5 1 1/3
C’’’ 5 1/3 4 2 2/3 2 1 3/5
C’’’’ 8 5 1/3 4 2 2/3 2
On remarquera que cette mixture est loin de tous les canons actuels, par sa composition (présence d’une tierce) et par l’utilisation de tuyaux de différentes tailles et familles. Ainsi, le rang de tierce était composé de tuyaux côniques (Spitzflöte).
Cette mixture n’a certes pas le même rôle qu’une mixture classique qui couronne le ch?ur des Principaux. Elle est plutôt un élément qui permet de rassembler le ch?ur des fonds avec celui des anches. Il s’agit en fait d’une synthèse entre une mixture et un Kornett.
IIème clavier (expressif, 56 notes)
16. Bourdon doux 16, en bois
17. Principal 8, 12 tuyaux en bois, 8 en zinc et 36 en étain
18. Flûte de concert 8, 45 tuyaux en bois et 11 en étain
19. Quintatoen 8, 12 tuyaux en bois et 44 en étain
20. Aeoline 8, 12 tuyaux en zinc et 44 en étain
21. Voix céleste 8, en étain
22. Flûte traversière 4, 12 tuyaux en bois et 44 en étain
23. Fugara 4, en étain
24. Piccolo 2, en étain
25. Clarinette 8, à anches libres, tuyaux en étain
26. Chalumeau 8 (réunion des n° 19 et 20)
27. Voix humaine 8, en étain
28. Bourdon doux 8, 12 tuyaux en zinc, 44 en étain
Pédalier (30 notes)
29. Contrabasse 16, 14 tuyaux en bois, 16 en zinc. En partie en façade.
30. Subbasse 16, en bois
31. Bombarde 16, 12 tuyaux en bois, 18 en zinc.
32. bourdon 16, transmission du n°16
33. Octavbasse 8, transmission du n°17
34. Flûte-basse 8, transmission du n°18
35. Octave 4, transmission du n°23
Pression d’air : 76 mm.
Registres accessoires :
Copula du IIème au Ier clavier
Copula du Ier clavier au pédalier
Copula du IIème clavier au pédalier
Registre de combinaison pour Tutti
" " " Forte
" " " Mezzoforte
" " " Piano
Annulateur des combinaisons
Pédale d’expression pour le IIème clavier
" " " la voix humaine
Octaves supérieures au Ier clavier
Octaves graves du IIème clavier sur le Ier.
Trois combinaisons libres pour tous les jeux
Tremolo du IIème clavier
Tremolo de la voix humaine
Dégagement des jeux d’anches
Pianopédale automatique au IIème clavier
Crescendo/Decrescendo général
Organola appliquée au Ier clavier avec Basse-Melodie-Copula[3]
Détails de la construction
1.Les sommiers seront établis en bois de premier choix d’après le système pneumatique dit « Walcker’sche Kegellade »[4].
2.Le traitement des claviers, autant manuels que pédalier se fera au système pneumatique tubulaire rendant le jeu aussi facile que sur un très bon piano et garantissant au mieux la sûreté contre les influences du temps.
3.Une console séparée pour l’organiste sera établie sur le devant de l’orgue et donnant vers l’autel. Cette console en chêne renferme tous claviers et registres se ferme à clef. Les registres auront la forme de petites touches « Bascules » en différentes couleurs se rapportant aux claviers correspondants.
4.La soufflerie se composera d’un grand réservoir à plis et replis compensatoires et de trois grandes pompes alimentaires, établies en bois de sapin de premier choix et garnies d’attaches en toile et de peaux doubles de première qualité.
5.La boîte expressive du Récit[5] , autant que de la voix humaine, sera construite en bois de sapin de premier choix d’une épaisseur de 4 cm et munie de jalousies mobiles, mises en jeu au moyen d’une pédale à bascule nouveau système, restant fixé à tout point choisi par l’organiste.
6.Une charpente bien solide sera établie pour le montage de toutes les parties de l’orgue. Cette charpente sera indépendante du buffet et montée sur une semelle à part.
7.Les tuyaux de bois seront en beau bois de sapin partiellement blanc ou rouge de la Forêt Noire avec des lèvres en bois dur intérieurement et extérieurement peints et vernis, les tuyaux de métal en zinc, en étain de 60% et en métal de 40% garantissent au mieux un bon effet musical.
8.La mise en harmonie sera exécutée d’une façon tout à fait artistique en appliquant tous les procédés de l’art moderne, soit : entailles, freins harmoniques et autres. Tout jeu aura le caractère qui lui est propre, sera bien égalisé de timbre et de force et accordé au ton du diapason normal : la = 870 variations.
9.Le prix de cet instrument comprenant tous frais de transport jusqu’à la gare de Namur, de droits d’entrée et de douane, de voyage des monteurs et de l’érection à l’église de Ste-Julienne à Salzinnes est de 15.000 Francs en or. Un buffet d’orgue en chêne d’après notre dessin n°3907 rendu franco à l’église et monté en place coûtera 1.500 Francs en or.
L’orgue est alors construit à l’inverse des priorités actuelles : tout en profondeur, avec les jeux du premier clavier à l’avant, juste derrière la façade, ainsi que ceux de la pédale.
Le second clavier, improprement nommé « Récit » est placé derrière cet ensemble premier clavier et pédale. Notons également que le bourdon 8' et la voix humaine du 2ème clavier se trouvaient en boîte expressive séparée, tout à l'arrière de l'instrument, hors buffet, soit à plus de 6 mètres de la façade!
Le son du second clavier doit donc franchir, outre les jalousies de la boîte expressive, la tuyauterie de la pédale. Ceci était conforme à une volonté de faire de ce second clavier non un « Récit » mais un clavier d’écho, dont les sons arrivent ainsi dans la nef atténués, éloignés, « éthérés ».
Au niveau de la tuyauterie, on remarque que presque systématiquement, la première octave est en zinc. Et ceci pas seulement pour des raisons financières, mais aussi architecturales et esthétiques.
On a en effet pas moins de sept jeux de fond de 8’ au premier clavier, et six sur le second.
S’il fallait les faire entièrement en alliage étain-plomb, outre le prix élevé, on pourrait rencontrer des problèmes de stabilité des grands tuyaux comme on en trouve parfois dans certaines orgues.
Puis, l'esthétique romantique tardive n’est pas compatible avec des tuyauteries très fines à haut pourcentage d’étain –dans le grave en tous cas-. Le zinc offre une solution à ce problème tout en réduisant fortement le poids. Ceci non plus n’est pas négligeable eu égard au grand nombre de grands tuyaux avec cette composition.
Le zinc offre d’autre part une sonorité plus riche en harmoniques, ce qui allège quelque peu les basses.
Un premier relevage de l'instrument eut lieu en 1922 par Walcker, suivi d'un autre en 1944 par Emile Dresse. Ce dernier consista essentiellement au remplacement du pédalier, ainsi qu'à une électrification partielle du système, toutefois aucun document ne nous permet de savoir jusqu'où a été cette électrification.
De 1962 à 2014
Une restauration plus importante, et même radicale eut lieu en 1962 par Georges Delmotte, sur base d'un projet de Charles Hens, alors organiste de la Collégiale Saints Michel et Gudule de Bruxelles et professeur au Conservatoire de cette même ville.
Les travaux consistèrent à:
-
électrifier la totalité de l'instrument
-
redistribuer les sommiers existants pour porter l'orgue à trois claviers
-
fournir une nouvelle console
-
réharmoniser une partie de la tuyauterie
-
poser de nouveaux jeux
-
installer un nouveau ventilateur
Tous les sommiers de Walcker furent conservés, mais dans un but esthétique plus que discutable, se virent garnis de nouveaux jeux, plus aigus, peu en rapport avec la base originale de l'orgue. Toutefois, 18 jeux furent préservés, soit à peu près la moitié de la tuyauterie.
La composition de l'orgue se présentait alors comme telle:
I : Grand-orgue
Bourdon 16 : 56t, bois; d'origine
Montre 8 : 56t, zinc et étain ; d’origine
Bourdon 8 : 56t, bois et étain ;première octave de Walcker
Prestant 4 : 56t, étain; d’origine, ancien fugara 4 du récit
Gemshorn 4 : 56t, zinc et étain ; Walcker, (ancien gemshorn 8), complété par la dernière octave du dolce 4.
Quinte 2 2/3 : 56 tuyaux, en étain
Octave 2 : 56t, étain ;
Mixture III-IV : 212t, étain ; Walcker pour les 2° et 4° rangs
Trompette 8 : 56t, zinc et étain ; Walcker
II : Positif
Quintaton 8 : 56t, bois et étain ; Walcker
Principal 4 : 56t, spotted
Doublette 2 : 56t, spotted
Cymbale III : 168t, métal
Cromorne 8 : 56t, métal
Régale 4 : 56t, spotted et étain; ancienne voix humaine
III : Récit expressif
Principal 8 : 56t,bois et étain ; Walcker
Bourdon 8 : 56t, zinc et étain ; Walcker
Dulciana 8 : 56t, zinc et étain ; Walcker
Voix céleste 8 : 44t, étain ; Walcker
Octave 4 : 56t, étain ; Walcker
Flûte ouverte 4 : 56t, bois ; Walcker (= flûte traversière 4)
Flageolet 2 : 56t, spotted
Piccolo 1 : 56t, étain ; Walcker (piccolo 2 du II)
Sesquialtera II : 100t, étain
Plein Jeu V : 280t, étain
Trompette 8 : 56t zinc et étain
Pédale :
Contrebasse 16 : 30t, bois et zinc ; Walcker
Soubasse 16 : 30t, bois ; Walcker
Bourdon 8 : 11t, bois ; dédoublement de la soubasse 16
Basse de choral 4 : 30t, étain ; Walcker (ancien synthematophon 8)
Octave 2 : 11t, dédoublement de la Basse de Choral 4)
Bombarde 16 : 30t, bois et zinc ; Walcker
Trompette 8 : 11t, zinc ; dédoublement de la bombarde 16
Clairon 4 : 11t, zinc ; dédoublement de la bombarde 16
L'orgue traversa ainsi les années sans trop de modifications, à l'exception de quelques jeux qui furent soit décalés soit remplacés par le titulaire d'alors.
Dans les années 1990, la situation de l'orgue commençait à devenir préoccupante, on ne comptait plus les cornements et les jeux devenus inutilisables dès que le chauffage à air pulsé fonctionnait. Une nouvelle restauration s'imposait, mais l'avenir de l'instrument semblait compromis. Il a fallu attendre 2003 pour que les choses commencent à bouger. Le nouveau titulaire de l'orgue prenait ses fonctions sur un instrument bien fatigué, dont la peau des membranes comptaient presqu'un siècle, et dont les sommiers étaient recouverts d'une épaisse couche de poussière.
Commença alors un projet de restauration. Après un examen de l'instrument, il apparaissait que le fonds historique de 1907 était encore en grande partie présent. L'esthétique sonore de l'orgue à ce moment n'étant ni homogène ni réellement convaincante, l'organiste titulaire souhaita un retour à la composition d'origine pour plusieurs raisons: tout d'abord ce genre d'instrument est devenu tout à fait rare, voire unique. En effet, la plupart des instruments contemporains de même facture se trouvaient en Allemagne et connurent les affres des deux guerres mondiales. Ensuite, la tuyauterie d'origine restante était dans un remarquable état de conservation, et on pouvait y découvrir des curiosités, comme le synthematophon, dont il ne reste guère que 5 exemplaires dans le monde.
Plusieurs concerts furent alors donnés, dans un but pédagogique de démystification de l'instrument orgue, des articles paraissent dans la presse, des visites de l'orgue par des classes de primaire s'organisent...
Toutefois, le projet de retour à l'état d'origine dû être revu à la baisse. En effet, plusieurs difficultés, financières, morales, ou purement esthétiques contrariaient les projets du titulaire.
A Noël 2008, alors qu'il gelait à pierre fendre à l'extérieur, et que l'on atteignait allègrement les 35°C à la tribune, l'orgue rendit l'âme dans un grand cri. En effet, les peaux centenaires du réservoir venaient de se déchirer.
Grâce aux soutien des paroissiens, de certains mécènes et d'une Fondation suisse, des travaux purent être entrepris l'année suivante.
Vu qu'un retour à l'état d'origine n'était pas envisageable, la Fabrique d'église, propriétaire de l'instrument, opta pour un relevage plutôt qu'une réelle restauration. Toutefois, des modifications importantes ont pu se faire, dans la limite d'un budget imposé.
La firme Delmotte de Tournai se vit chargée des travaux.
Ainsi, les sommiers deviennent complétement électriques et perdent leur partie pneumatique, de nouveaux jeux sont posés, certains autres sont décalés, dans un souci de revenir à un instrument plus cohérent, avec un réel fond romantique. La console est restaurée, complètement modernisée et dotée d'un combinateur.
[1] Le synthematophon 8 est un jeu inventé par Walcker en 1906. Il s’agit d’un gemshorn de taille généreuse, possédant deux bouches opposées l’une de l’autre. Sa sonorité, puissante, équivaudrait à un principal 8 de quatre rangs. Il s’agit ici d’un des derniers exemplaires de ce jeu dans le monde.
[2] A voir les plans de construction, il semblerait que la dulciana 8, prévue au 1er clavier, ait été installée au 2ème clavier.
[3] Système mécanique permettant à l’orgue de jouer seul.
[4] Alors qu’il prévoyait des sommiers de type Kegellade (sommiers à cônes), Walcker a installé dans l’orgue de Salzinnes des sommiers de type Taschenlade (sommiers à membranes).
[5] Walcker, tentant peut-être de se franciser pour ce marché, parle malheureusement de « Récit », alors que le deuxième clavier de l’orgue n’a bien sûr rien à voir avec un récit expressif français ou belge. Ce genre de dénomination n’a fait qu’agrandir l’incompréhension dont a été victime l’orgue plus tard.